01 août 2020 ~ 0 Commentaire

2084-la fin du monde, Boualem Sansal, Gallimard-Folio – Brillante dénonciation de la pensée unique !

SansalMon appréciation : ♥♥♥♥ / 5

Ma chronique sur Babelio : Christine, je veux te remercier de m’avoir permis de découvrir ce livre. Souviens-toi : quand je t’ai dit que je travaillais à un roman dont le titre pourrait être 2084, tu m’as répondu que celui-ci avait déjà été utilisé. Quelques clics sur mon smartphone plus tard, je trouvai ce 2084-La fin du monde de Boualem Sansal, que je m’empressai de commander à ma libraire préférée.

C’est ainsi que j’ai découvert l’Abistan, son dieu Yölah et son fondateur Abi, son histoire faite de guerres de religion toujours victorieuses contre le diable Balis et ses inféodés et ayant officiellement conduit à la disparition de tous les opposants. J’y ai rencontré Ati qui, guéri d’une grave maladie, quitte le sanatorium aux confins du pays pour rentrer chez lui, dans la tentaculaire capitale Qodsabad. Un voyage qui durera une année, lui fera rencontrer l’archéologue Nas, de nombreux pèlerins et marchants, et … beaucoup de questions ! De retour chez lui, ATI et son ami Koa qui partage ses interrogations décident de retrouver Nas pour confirmer que la découverte récente des ruines d’un village est bien de nature à remettre en cause l’histoire officielle du pays…

sansal

C’est à un voyage en Absurdie que nous convie l’auteur. 2084, c’est la fin du « monde ancien », le nôtre, et le début d’un « nouveau monde », un monde dont l’histoire ne remonte pas au delà de cette année, un monde façonné par la dictature et le fanatisme religieux, où toute trace de progrès a quasi disparu, où la vérité est temporaire et l’histoire récrite aussi souvent que nécessaire, où la population est tenue dans l’ignorance la plus totale, où la langue a été simplifiée à l’extrême pour éliminer tous les concepts dérangeants pour la caste dirigeante… En ce sens, il y a bien une filiation entre le 1984 de George Orwell et ce 2084 : la haute technologie qui permet d’asservir le peuple dans le premier est remplacée par l’ignorance, la croyance en un être suprême et en son messager et la pauvreté dans le second.

Dans ce monde-là, Ati et Koa n’auraient jamais du se poser les questions qui taraudent leur esprit ; cette idée même est répréhensible ! Pourtant, faisant preuve d’ingéniosité pour échapper aux multiples contrôles, ils prendront la route pour se rapprocher des lieux de pouvoir et trouver, pensent-ils, auprès de l’archéologue Nas, sinon des réponses, au moins la confirmation de la pertinence de leurs questions.

Boualem Sansal met à profit ce récit, où l’absurde et le burlesque se côtoient en permanence, pour explorer les diverses facettes de l’âme humaine placée face à la violence dictatoriale et à l’intolérance religieuse. Il y a ceux, les plus nombreux, qui obéissent servilement en évitant de réfléchir, ceux qui espèrent quelque privilège en participant à la surveillance et à la dénonciation, ceux qui sont proches du pouvoir et sont prêts à tout pour conserver leur situation, même à comploter pour grimper quelques marches de plus dans les hiérarchies, et puis il y a ceux, peu nombreux, qui essaient de comprendre et dont on ne sait s’ils seront in fine écrasés.

Et bien sûr, on ne peut éviter de se poser la question : et si certains fanatismes religieux d’aujourd’hui prenaient demain l’ascendant sur nos sociétés ?

Je sais, Christine, tu vas me demander pourquoi je n’ai mis à ce livre qu’une note de 4 sur 5. Je ne sais pas si Boualem Sansal l’a fait délibérément, mais il oppose à la pauvreté culturelle de l’Abistan la grande richesse de son écriture. Mais il en fait peut-être un peu trop, et le roman devient difficile d’accès, la lecture manque de fluidité, et c’est vraiment dommage…

Pour conclure, je voudrais partager avec toi deux extraits du livre, qui me paraissent tout à fait représentatifs :

« On ne disait pas par là qu’ils étaient têtus comme des pierres, on se voulait respectueux, on donnait seulement à entendre que les pierres étaient plu raisonnables qu’eux. »

« La dictature n’a nul besoin d’apprendre, elle sait naturellement tout ce qu’elle doit savoir et n’a guère besoin de motif pour sévir, elle frappe au hasard, c’est là qu’est sa force, qui maximise la terreur qu’elle inspire et le respect qu’elle recueille. C’est toujours après coup que les dictateurs instruisent leurs procès, quand le condamné par avance avoue son crime et se montre reconnaissant envers son exécuteur. »

Cette chronique est dédiée à Christie Z., qui se reconnaîtra

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