20 mars 2020 ~ 0 Commentaire

Laurent Joffrin – Libération – Les réseaux d’Esope

Internet et les réseaux sociaux : le pire et le meilleur ?

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Libération 20 mars 2020
Laurent Joffrin
La lettre politique de Laurent Joffrin

Les réseaux d’Esope

Pourquoi Esope ? Parce que ce fabuliste de l’Antiquité, un esclave thrace qu’on disait laid et contrefait, avait surmonté ses handicaps par le brio de son esprit et son habileté à raconter des fables. Un jour qu’un roi lui demande de lui servir ce qu’il y a de meilleur pour son repas, il démontre l’efficacité de ses apologues. Il achète des langues d’animaux qu’il fait cuire et sert comme mets unique, hors d’œuvre, entrée, plat de résistance et dessert.

La langue, explique-t-il, sert à communiquer, à enseigner, à parlementer pour régler les conflits, à rapprocher les humains. Elle est la meilleure des choses. Le souverain curieux lui demande alors de lui servir les pires des mets. L’esclave fabuliste achète de nouveau des langues. Etonnement royal. Esope répond que la langue est la pire des choses : elle sert à tromper, à maudire, à provoquer, à répandre la haine, elle est la cause des guerres. D’où l’expression : «La langue d’Esope est la meilleure et la pire des choses.»

Ainsi des réseaux sociaux, qui connaissent leur apothéose en ces temps de confinement général. Sans eux, point de contacts entre personnes isolées, qui se voient en Facetime ou par d’autres applications du même genre, s’informent grâce au numérique, se distraient grâce aux films et aux séries en ligne, échangent conseils et nouvelles, travaillent à distance et restent en contact avec leurs proches. La meilleure des choses, donc. Sans eux, néanmoins, la pauvre humanité enfermée limiterait pour son plus grand bien la circulation des fausses nouvelles, la propagation de philippiques sans fondements, gratuites et nuisibles, la recherche de boucs émissaires, le complotisme de masse et la contamination des discours de haine ou de violence. La pire des choses, donc.

Il en va d’Internet comme de beaucoup de technologies : leur bienfaisance ou leur nocivité dépend, non de leur nature intrinsèque, mais de l’usage qu’on en fait. Or il est un usage à proscrire rigoureusement : la diffusion insouciante des rumeurs, fake news, invectives et complots imaginaires qui infestent lesdits réseaux. Elle revient à instiller du poison à haute dose dans le corps social.

La belle idée, dira-t-on. Comme si l’on pouvait d’emblée distinguer le faux du vrai, séparer sur l’instant le bon grain de l’ivraie ! Il est pourtant un moyen simple, qui tient en une question : quelle est la source ? Ce qui distingue en effet, pour l’essentiel, la rumeur de l’information, c’est justement la source. La plupart des «fake news» n’en ont pas, ou bien s’appuient sur des cautions fantaisistes. La mention de la source permet de remonter le cours du ruisseau informatif et de vérifier la pertinence de l’émetteur. Avant de retweeter, de transmettre, de transférer comme un automate vers ses contacts telle ou telle info, un conseil d’hygiène mentale : s’il n’y a pas de source fiable, s’abstenir. Ainsi réduira-t-on la circulation de la fausse monnaie du savoir, qui tend, on le sait, à chasser la bonne.

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Ce qui débouche sur une conclusion qu’on jugera corporatiste, mais qui est aussi de bon sens. Certaines institutions, privées ou publiques, ont pour métier de vérifier les sources et de trier fausses nouvelles et infos crédibles : on les appelle les journaux, les radios, les télévisions, bref, ces médias dont on dit tant de mal. Chacun choisira le sien, en fonction de ses orientations ou de la confiance qu’il accorde à tel ou tel titre de presse, à telle ou telle chaîne. Ainsi gagnera-t-il du temps et une certaine sagesse cognitive. Non qu’ils soient infaillibles, loin de là. Mais au moins, quand ils appliquent les critères élémentaires du journalisme, s’efforcent-ils de retranscrire honnêtement les faits et de les sourcer. Ce qui favorise la santé de l’esprit et, partant, en ces temps d’épidémie, la santé tout court.

Dernière précision : on ne parle pas ici des commentaires, exercices différents et largement subjectifs. Ainsi de cette lettre politique, à lire avec les plus grandes précautions…

LAURENT JOFFRIN
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