Le Monde – Elections municipales 2020 : Saillans, village laboratoire de la démocratie participative
Après six ans d’expérience de gestion impliquant étroitement les habitants, la liste citoyenne élue en 2014 est de nouveau candidate au scrutin de mars, dans le village de 1 300 habitants de la Drôme.
Par Angela Bolis Publié hier à 02h17, mis à jour hier à 11h29
A Saillans, dans la Drôme, le lancement de la campagne municipale ne pouvait être qu’à l’image de la mandature écoulée : participative, et singulière. Ce village de 1 300 âmes a acquis une petite renommée pour avoir porté au pouvoir une liste citoyenne, qui gère depuis 2014 les affaires en impliquant étroitement les habitants.
Après six ans d’expérience de démocratie participative, l’équipe municipale a décidé d’assumer son bilan, elle est de nouveau en lice pour les élections de mars 2020.
Dans la salle polyvalente du petit bourg, ce samedi glacé de janvier, une soixantaine d’habitants ont répondu à son appel pour lancer la campagne. « Il faut s’engager, on est là pour prendre des responsabilités ! On n’a pas forcément envie d’y aller, mais ça vaut le coup car on peut changer les choses », encourage Vincent Beillard, le maire officiel de la commune.
Pour les actions à mener, l’équipe propose un petit remue-méninges dont elle a le secret. Tout seuls, ensuite en binôme, puis par petits groupes, les participants cherchent des idées et les notent sur un grand tableau. Tour des quartiers à vélo, jeux de rôle dans la rue, soupes et vins chauds sur le marché… Dans un joyeux brouhaha, chacun vient ensuite accoler des notes adhésives à ces actions : vert quand on aime, bleu quand on s’engage à les animer.
A l’heure où, partout en France, des listes citoyennes et participatives se lancent à la conquête des mairies, celle de Saillans fait figure de pionnière. Il y a six ans, échauffé par sa bataille victorieuse contre l’implantation d’un supermarché, un groupe d’habitants propose une liste sans programme ni candidat, avec comme seul engagement celui de faire de la politique autrement. Pari gagné.
Débuts foisonnants
Rapidement, le village est érigé en laboratoire de la démocratie participative. Et se retrouve scruté. « On a reçu plus de 750 demandes, de médias, de communes, de collectifs… », note Fernand Karagiannis, élu à la commission transparence-informations. L’expérience s’exporte.
L’un de ses instigateurs, Tristan Rechid, a accompagné « près de deux cents collectifs citoyens à travers la France, qui souhaitaient monter des listes ». « C’est à l’échelon municipal qu’on doit construire le politique et redonner du pouvoir d’agir aux gens. Les élus ne décident pas, ils accompagnent ce processus », estime-t-il.
Pour donner corps à cette vision, Saillans a bricolé sa propre gouvernance, associant élus et habitants : des commissions thématiques, des groupes d’action portant sur des projets précis, un observatoire de la participation, ou encore un comité de pilotage, principale instance de décision, qui se réunit deux fois par mois en public. Le maire, sa première adjointe et les conseillers municipaux se sont aussi partagé les compétences en binômes, et les indemnités.
Après des débuts foisonnants, la seconde partie du mandat s’est concentrée sur l’élaboration d’un plan local d’urbanisme (PLU) participatif – une gageure, qui a mobilisé quatre élus et douze habitants tirés au sort pendant trente-quatre réunions.
C’est autour de ce PLU – et notamment après un débat crispé sur l’habitat démontable – que l’opposition s’est peu à peu cristallisée, d’abord autour d’un collectif d’habitants… puis d’une liste. Car tous les Saillansons ne se retrouvent pas dans le jeu participatif de leur mairie. « On ne veut plus d’une participation de façade », assène ainsi Marie-Christine Casals, à la tête de la liste d’opposition. « Il n’y a pas de place pour la parole contradictoire dans ces réunions. On est vampirisés par la méthode, avec des outils formatés, les gommettes, les petits groupes de travail… », complète son binôme, François Brocart. A ces méthodes peu familières, inspirées de l’éducation populaire pour favoriser l’expression de tous, les opposants préféreraient les outils « qui existent déjà, à disposition des élus » : commissions extra-municipales, budgets participatifs, référendums locaux…
Les « néoruraux » surreprésentés
Au-delà de ces divergences, l’implication semble être devenue une évidence à Saillans. Reste à savoir comment élargir le cercle. Selon la mairie, quelque 250 habitants, soit un quart de la population adulte, ont participé de près ou de loin à la gestion de la commune.
Dans ces instances, les « néoruraux », nombreux dans le village et appartenant souvent aux catégories sociales supérieures, sont surreprésentés. « Le fonctionnement communal tel qu’il a été pensé privilégie le capital culturel sur d’autres types de ressources, notamment le capital d’autochtonie qui est souvent une ressource compensatoire chez les classes populaires. Cela génère une opposition virulente, qui ne s’exprime pas ou peu dans les dispositifs mais surtout en dehors », note Mario Bilella, qui a étudié l’expérience de Saillans pour sa thèse de sociologie, dans le tout récent livre de Maud Dugrand, La Petite République de Saillans (Rouergue, 160 pages, 17 euros).
Autre frein pour participer : l’agenda. « Dans notre société, on n’est pas incités à prendre du temps pour s’engager en politique, dans la vie associative… », regrette Gabriel Smadja, habitant de Saillans et urbaniste, qui observe une plus forte implication des retraités dans cette aventure chronophage.
Consciente de ces écueils, l’équipe sortante a promis d’autres formats de participation, comme des assemblées de villages, avec débats et votations sur les grandes orientations de la municipalité. Rendez-vous est donné à l’automne 2021. D’ici là, c’est le programme, « issu d’une large concertation », qui définit les priorités : solidarités, économie locale, transition écologique… A l’heure du bilan, la mairie de Saillans veut prouver qu’elle ne se limite pas à des questions de méthode, mais qu’elle porte aussi un projet politique.
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