Un remake de 1995 ? Rappelons deux citations attribuées à Karl Marx : «L’histoire ne se répète pas, elle bégaie» ou encore «tous les grands événements se répètent pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce». Alors ? Bégaiement, farce ou tragédie ?
Une grande différence, en tout cas : en 1995, Jacques Chirac est élu en faisant campagne sur «la fracture sociale», puis il tourne casaque en octobre pour annoncer une politique de rigueur très technocratique. En 2019, Macron met en œuvre une réforme qu’il a énoncée dans son programme et annoncée partout à son de trompe. Point de reniement, donc.
Pour le reste, les points communs sautent aux yeux : une réforme d’ampleur qui suscite la bronca syndicale, une remise en cause des «régimes spéciaux» à la SNCF et à la RATP, un gouvernement impopulaire, un fils Juppé à Matignon, une opinion qui approuve le mouvement, une CGT remontée comme un coucou. Avec ce facteur aggravant : en 1995, la CFDT soutenait la réforme, cette fois elle élève maintes objections. Tout semble ligué pour une réédition.
En fait, la vraie comparaison commencera une fois le mouvement lancé. En 1995, la grève avait pris tout le monde par surprise, les manifestants étaient très nombreux, ils sont restés populaires et les transports ferroviaires et urbains se sont retrouvés totalement à l’arrêt. Et surtout, la grève avait duré près d’un mois avant la reddition du gouvernement Juppé. Donc trois critères pour juger : le nombre des manifestants, la reconduction dans les dépôts et l’attitude de l’opinion. Pour le reste, on consultera sa boule de cristal.
Il y aurait une manière d’éviter l’affrontement : le gouvernement chausse non les bottes de Juppé mais les Nike de la souplesse. Il annonce qu’il remet à plus tard le débat sur l’âge de départ ; il ouvre une négociation par branche pour amortir le choc de la transition ; il donne des garanties aux fonctionnaires pour qu’ils ne pâtissent pas trop de la réforme. Du coup, la CFDT peut rentrer dans le jeu, les victimes du système à points peuvent espérer limiter les dégâts, l’opinion comprend que le gouvernement est prêt à transiger et que le compromis vaut mieux que le tout ou rien. On peut toujours rêver…