Nouvelle tension à Hongkong : les partisans de la démocratie protestent contre l’interdiction du port du masque dans les manifestations que Carrie Lam, la marionnette de Pékin qui gouverne l’archipel, se dispose à promulguer. Les manifestants masquent leur visage pour éviter d’être identifiés : la mesure a de toute évidence un but répressif.
Exotique en apparence, le conflit qui oppose la Chine populaire dictatoriale et les habitants de Hongkong attachés aux libertés publiques a néanmoins une résonance très proche : il vient illustrer le débat qui se développe en France – et en Europe – autour de l’universalisme des droits de l’homme. Un courant «zemmourien» estime que le «droit-de-l’hommisme», selon le vocabulaire en vigueur dans ces parages, menace l’identité traditionnelle du pays en accordant trop de droits à l’individu et pas assez à la communauté nationale, qui doit défendre «sa culture et son mode de vie». Symétriquement, l’extrême gauche «décoloniale» tient les principes républicains pour un paravent commode de la domination «blanche» et une hypocrisie «post-coloniale». Ironie de l’actualité : l’exemple de Hongkong, quoique lointain, fait voler ces deux thèses en éclats.
Arrachée naguère à la Chine par la force, l’enclave de Hongkong est le type même de la création coloniale, restée sous le contrôle de la métropole britannique, telle un «confetti de l’Empire», jusque dans les années 1980. Si la logique identitaire était si naturelle, si puissante, si légitime, les Hongkongais auraient dû se réjouir de leur rattachement «décolonial» à la Chine. Curieusement, il semble bien qu’ils tiennent, comme à la prunelle de leurs yeux, à l’héritage laissé par la puissance coloniale. La Chine libérée au XXe siècle de l’emprise occidentale a même dû le reconnaître, en acceptant la devise consacrée au moment du retrait britannique : «un seul pays, deux systèmes».
Pour une raison toute simple : quoique de culture évidemment chinoise, les habitants de Hongkong estiment que les principes universels de liberté doivent les protéger du pouvoir dictatorial qui sévit en Chine. C’est quand le régime de Pékin a donné le sentiment de vouloir porter atteinte au système judiciaire hérité de l’Empire britannique qu’ils sont descendus dans la rue. Autrement dit, la liberté leur tient plus à cœur que l’unité nationale prônée par le gouvernement de Xi Jinping. Quoique culturellement issus de la civilisation chinoise millénaire, ils préfèrent obéir aux lois d’origine occidentale qui garantissent leurs droits individuels : ils placent la liberté au-dessus de l’identité. Voilà un paradoxe sur lequel les tenants d’une politique identitaire, qu’on trouve sous des formes différentes à l’extrême droite et à l’extrême gauche, devraient réfléchir quelques instants. Les hommes et les femmes sont attachés à leurs racines, certes. Mais à Hongkong comme ailleurs, dès qu’il s’agit de leur liberté, ils se battent au nom de l’universalisme.