01 septembre 2019 ~ 0 Commentaire

Laurent Joffrin – Libération – Retraites dans le brouillard

Libération 30 août 2019
Laurent Joffrin
La lettre politique de Laurent Joffrin

Retraites dans le brouillard

La réforme «systémique» des retraites annoncée à sons de trompe répétés par le gouvernement commence à ressembler à un gros chewing-gum en forme de marshmallow. Onctueuse, élastique et malléable à souhait. On parlait d’un «âge pivot» en deçà duquel les futurs retraités subiraient un «malus» qui réduirait leur pension pour cause de départ précoce. Puis le président a soudain exprimé une préférence pour la prise en compte principale du nombre d’années de cotisation, ce qui revient à proroger peu ou prou le système actuel. Puis le ministre des Comptes publics précise que la concertation engagée cet automne durera environ un an. Comme Jean-Paul Delevoye consulte à tout va depuis presque deux ans, on aura donc consacré quelque trois années entières à déminer la réforme à coups de palabres. C’est ce qui s’appelle prendre son élan…

A cela s’ajoute le pas de deux entamé avec Laurent Berger, fort satisfait de voir «l’âge pivot» s’effacer dans le brouillard des déclarations contradictoires. Après avoir fustigé la méthode de ses prédécesseurs, – ces «fainéants» trop précautionneux – Emmanuel Macron s’y conforme à son tour. Pour un peu, il endosserait soudain les habits d’un «président normal». A vrai dire, c’est le bon sens même. Depuis l’échec de Juppé en 1995, tous les gouvernements ont pratiqué cette stratégie des «petits pas». Faut-il s’en plaindre ? Pas sûr. En fait, cette France qu’on dit «impossible à réformer» a amendé sans cesse les règles du départ à la retraite et tant bien que mal équilibré les comptes au fur et à mesure. Est-ce une si mauvaise tactique ?

La nouveauté, c’est l’instauration d’un mode de calcul «à points» qui existe dans les pays scandinaves (et pour les cadres en France). Système plus clair et en principe simple d’usage, puisqu’il suffit de faire varier la valeur du point pour balancer les comptes. Mais on se garde bien de dire si cette valeur est destinée à baisser, ou si la durée de cotisations nécessaire à une retraite à taux plein va s’allonger, comme le Medef le demande depuis trois siècles. C’est pourtant l’un des points sensibles. Mystère et boule de gomme : la concertation est en cours…

On oublie au passage une question essentielle pour quiconque s’intéresse, autant qu’à l’équilibre comptable du système, à la justice sociale en cette matière. Chacun sait que l’espérance de vie moyenne diffère sensiblement selon les métiers. Pour faire court, les ouvriers, les travailleurs manuels en général, vivent environ six années de moins que les cadres et les professions intellectuelles. Autrement dit, quand on vante l’égalitarisme du système à points (chaque point ouvre les mêmes droits), on bonimente. On applique un système uniforme à des situations notoirement différentes.

L’équité voudrait que le régime de calcul appliqué aux classes populaires tienne compte de leur moindre espérance de vie. Qui en parle ? Personne ou presque. En 2012, au début du quinquennat Hollande, les socialistes ont introduit dans le calcul des retraites un critère de pénibilité destiné à pallier cette injustice. Aussitôt le Medef a crié à «l’usine à gaz» et tenté par tous les moyens de minimiser la portée de la réforme, qui est néanmoins entrée en vigueur. Sera-t-elle complétée, étendue, améliorée ? Voilà un sujet utile de discussion publique…

LAURENT JOFFRIN
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