Démocratie Vivante – Tribune dans Le Monde du 1er août : Le rapport Delevoye : une réforme juste… qui peut l’être encore plus !
Contrairement à ce que l’on dit souvent, les Français ne sont pas opposés aux réformes. En réalité, ils sont prêts à les soutenir, mais à condition qu’elles leur semblent justes. C’est tout l’enjeu de la réforme des retraites.
Le rapport Delevoye propose un régime universel par répartition et par points. Un euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le métier exercé. Ce sera la fin des 42 régimes actuels qui ont chacun leurs règles, ce qui crée des différences de traitement importantes entre les cotisants, différences injustifiées et donc incomprises par les Français. Certes des spécificités subsisteront pour tenir compte des particularités, comme celles des indépendants, par exemple, et c’est pour cela qu’il s’agit d’un système universel et non pas unique, mais les mêmes principes s’appliqueront à tout le monde. C’est indiscutablement un net progrès vers plus de justice sociale.
Dans le détail le rapport contient de nombreuses avancées sociales : la garantie à 100% des droits acquis, le maintien du dispositif des carrières longues, l’indexation de la valeur du point sur les salaires à terme (et non sur l’inflation), le principe d’un minimum de pension (fixé à 85% du SMIC), une majoration pour enfant dès le premier enfant, un objectif de maintien du niveau de vie de la personne veuve pour la réversion, et l’intégration des primes des fonctionnaires et des agents des régimes spéciaux dans l’assiette.
La réforme devant se faire à enveloppe budgétaire constante, il y aura des transferts entre les catégories professionnelles et donc des gagnants et des perdants. Le danger est que, comme dans toute réforme, les gagnants trouvent cela normal et les perdants s’opposent à la réforme. Qui seront ces perdants ? Il convient d’être prudent en l’absence de toute simulation effectuée, ou en tout cas publiée. Pour autant il est indéniable que les affiliés aux régimes spéciaux feront partie des perdants puisqu’ils seront soumis au régime de droit commun et ne pourront plus partir à la retraite avant 62 ans. Mais ce n’est que justice. Comment en effet justifier une telle inégalité de traitement en leur faveur ? Les fonctionnaires seront pénalisés par le fait que le niveau de leurs pensions ne sera plus indexé sur leurs rémunérations des six derniers mois, mais sur les rémunérations de toute leur carrière. L’intégration des primes dans l’assiette des points de cotisation compensera cette perte en totalité, en partie ou pas du tout selon les corps de fonctionnaires. Les fonctionnaires de Bercy devraient s’y retrouver ; en revanche, les enseignants y perdront beaucoup. Bien entendu, ce n’est pas aux régimes de retraite de corriger les inégalités de salaires, mais pénaliser les enseignants serait injuste, alors qu’ils sont déjà moins bien payés en moyenne que leurs homologues des autres pays de l’OCDE. De plus, si la réforme devait mobiliser les enseignants contre elle, cela deviendrait un véritable problème politique. Il est donc indispensable qu’une négociation avec les syndicats soit engagée afin de déboucher sur des compensations salariales. Heureusement le rapport Delevoye prévoit une période de transition qui permettra d’étaler dans le temps les ajustements nécessaires.
Le plafonnement à 120.000 euros du montant de rémunération servant d’assiette de cotisations sera, toutes choses égales par ailleurs, favorable aux titulaires de salaires d’un montant inférieur, les personnes titulaires de rémunérations d’un montant supérieur pouvant compléter leur retraite par des produits de capitalisation dont le développement est encouragé par la loi PACTE. Mais la création d’un âge pivot à 64 ans proposée par le rapport aurait l’effet inverse. En effet un tel système pénaliserait ceux qui auront commencé à travailler tôt et qui ne pourront pas bénéficier du dispositif des carrières longues. Or ce sont eux qui ont les salaires et les retraites les plus faibles. S’ils continuent à partir à la retraite à 62 ans, ils subiront une décote sur la totalité de leur pension, alors qu’aujourd’hui ils ne subissent qu’une décote temporaire sur leur pension versée par l’Agir-Arrco, retraite complémentaire qui ne représente qu’une faible part de leur pension totale. A l’inverse, les cadres supérieurs, qui de toute manière partent déjà en moyenne à la retraite à 64 ans, seront avantagés car ils ne supporteront plus de décote du tout alors qu’actuellement ils doivent supporter une décote temporaire sur leur retraite Agir-Arrco, qui représente une part importante de leur pension totale. La création d’un âge pivot serait donc injuste, et ce d’autant plus que le taux d’activité des 60-64 ans n’est que de 33,5%. Le véritable enjeu n’est donc pas de reculer l’âge de départ à la retraite, mais d’augmenter le nombre d’actifs pour générer plus de cotisations. Enfin, la création d’un âge pivot n’est pas nécessaire car la règle d’or proposée par le rapport permettra d’assurer l’équilibre financier du régime sur cinq ans. Et cette règle d’or jouant sur la valeur du point sera la même pour tout le monde.
Le rôle du gouvernement va donc être de convaincre les Français que cette réforme est juste. Il faut se féliciter sur ce point de l’annonce d’une nouvelle phase de concertation avec les partenaires sociaux pour élaborer le projet de loi. Ce sera l’occasion d’améliorer les propositions du rapport.
Dominique Villemot, Jacky Bontems et Aude de Castet sont respectivement président et vice-présidents de Démocratie Vivante. Jacky Bontems et Aude de Castet ont publié le livre blanc Réformer les retraites : oui, mais à l’été 2019.